Yo.

Quand on apprend une langue alors qu'on en connaît une autre on a la manie naïve de vouloir connaître la traduction exacte ou approximative de chaque mot même si j'ai l'impression que d'une certaine manière on pourrait s'en passer.

Je vais donner quelques exemples bien concrets qui j'espère vont transformer le charabia précédent en une pensée claire et bien exprimée. Prenons le mot que j'entends le plus souvent ici : "vale" [*]. En arrivant ici j'ai rapidement compris quel était l'usage du mot, sans pour autant savoir précisément ce qu'il voulait dire. En réalité, j'aurais pu m'arrêter là : je savais dans quel contexte l'utiliser. Mais de fait, on ne fonctionne pas comme ça, on n'apprend pas la langue uniquement par l'intermédiaire de sons abstraits, il semble que l'on ait besoin de se constituer son propre "dictionnaire". Ou peut-être devrais-je dire on ne fonctionne plus comme ça. Lorsqu'on était petit et qu'on n'avait aucune langue sur laquelle s'appuyer, notre mécanisme d'apprentissage était fondamentalement différent il me semble. On entendait un son à l'occasion d'un évènement ou en description d'un objet, on l'associait à la situation et basta. La plupart des mots trouvent ensuite leurs sens à l'appui d'autres mots (dans un cercle auto-contenu de définitions qui me fait déjà tourner de l'oeil) mais parfois ils restent juste au stade de "sons" qu'on prend l'habitude d'utiliser sans en comprendre réellement l'étymologie, vestiges linguistiques de cette époque d'apprentissage primaire. Par exemple je n'ai réalisé que très tard (je ne me souviens plus quand) le sens littéral de "s'il vous plaît". J'utilisais la formule toute faite (parce que ma maman et mon papa m'ont bien appris), je comprenais tout à fait ce que ça voulait dire mais un jour j'ai pris conscience que mon "silvouplè" n'était rien d'autre que la forme conditionnelle du verbe "plaire" à la troisième personne du singulier. Il arrive aussi que notre imaginaire d'enfant prenne le pas et invente une signification propre et détaillée du son qu'on utilise, voici quelques exemples.

[*]: Pour le coup je donne la traduction littérale : "bon" d'après le dictionnaire, ou "valide". Dans l'usage c'est l'équivalent d'un "OK".

Bref, si je parle de tout ça c'est précisément parce que mon apprentissage de l'espagnol ne se passe pas de cette manière ! Je traduis donc littéralement ce que j'entends (quand je peux). Pour dire "désolé" en espagnol, une forme courante est "lo siento". Ça m'a tout de suite interpelé parce que en français ça donnerait : "je le sens", comme, "je sens mon erreur", "je sens ma faute". Et le plus drôle c'est qu'en parlant avec José tout à l'heure, je me suis aperçu que cette expression était précisémment un de ses vestgies linguistiques (à José) dont je parlais plus haut: il m'a avoué n'y avoir jamais pensé de cette manière-là.

Alors justement, tant que je parle de José ! Je ne sais plus comment on en est arrivé à se poser des énigmes, et comme il était bien calé sur le domaine, je lui ai posé la plus dure que je connaisse (merci Amic), celle des boîtes. Je mets l'énoncé :

Un homme maléfique détient 100 prisonniers. Il attribue à chacun des prisonniers un numéro entre 1 et 100 (sans répétitions). Dans une grande salle il place 100 petits récipients dans chacun desquels se trouve un numéro, également entre 1 et 100 (sans répétitions). Il annonce alors l'épreuve à ses prisonniers. Chacun d'entre eux devra rentrer dans la pièce et aura droit à cinquante essais (i.e. ouvrir cinquante boîtes) pour trouver la boîte contenant son numéro. Si ne serait-ce qu'un seul des prisonniers ne réussit pas au bout des cinquante essais, les 100 prisonniers seront tous exécutés dans d'atroces conditions que ma pudeur refuse de décrire sur ce blog. Il leur laisse cependant une journée pour convenir d'une stratégie sachant qu'une fois celle-ci convenue, ils n'auront plus aucun moyen de communication (le déplacement subtil des boîtes ou autres crachats sur le sol pour prévenir les collègues ainsi que toutes les blagounettes équivalentes sont bien sûr interdits). Le but de l'énigme est alors de déterminer une stratégie qui permettrait aux prisonniers de tous (de toutes façons c'est du tout ou rien) s'en sortir vivants avec une probabilité d'au moins 30%. Les prisonniers sont bien évidemment tous dotés d'un QI de 840 environ et d'une mémoire eidétique.

Pour bien comprendre que la tâche demandée n'est pas évidente, imaginez trente secondes que les prisonniers ne parviennent à convenir d'aucune stratégie et décident de choisir les cinquante boîtes au hasard. Les choix étant totalement indépendants, cela veut dire qu'ils auront (½)⁵⁰ chances de s'en sortir, soit environ 8.8817842×10-¹⁶ d'après la calculatrice de google. Monter jusqu'à une probabilité de 0.3 constitue donc un véritable challenge.

José était tellement surpris du résultat qu'il m'a proposé d'écrire une petite routine Matlab pour vérifier qu'une telle stratégie marche effectivement; il ne voulait pas encore avoir la réponse mais voulait confirmer par l'expérience. Il a donc codé tout ce qu'il fallait au niveau boîtes/prisonniers/choix et il ne me restait plus qu'à coder la stratégie pour qu'il l'utilise le code en question sans en lire les lignes. J'ai eu un moment de doute quand il a lancé la première simulation. Tout d'abord parce que j'avais peur de m'être trompé dans le code, et puis je n'avais jamais vraiment fait l'expérience. Du coup, bien que connaissant la preuve du résultat (ma foi mathématique a ses limites apparemment), j'avais un ptit doute. Et là, bim ! Ça marche comme prévu. Pour ceux qui connaissent la démonstration, ça n'a rien de surprenant mais je dois dire que de voir la stratégie à l'oeuvre pulvériser le score aléatoire, en montant jusqu'à 0.3 en moyenne, ça m'a permis d'encore plus apprécier ce petit bijou.

Bon je me rends compte que c'est le deuxième billet g33k consécutif que j'écris, je vais donc passer à autre chose avant de faire fuir le peu de lecteurs qu'il me reste.

Hier je me suis tapé une honte/shame/7shouma comme il ne m'était pas arrivé depuis longtemps et comme je suis foncièrement généreux, je partage ça avec vous. Je suis allé à la piscine un peu tard (vers 22h) et je suis sorti bien crevé. Il fallait encore que je me tape le retour à pied jusqu'au studio (bien quinze-vingt minutes avec pente/escalier) et j'étais un peu chargé. Il faut savoir que quelques fois, dans ces moments de grosse flamigue (flemme et fatigue à la fois), il m'arrive de craquer un peu (tout petit peu)... Le truc c'est que normalement le chemin sur lequel j'étais est désert à cette heure-là. J'étais donc convaincu d'être seul. Dans un mélange de craquage et, disons-le, d'espoir, je tente alors un Shunkan Idō. "Gné ?" me direz-vous. C'est tout droit sorti de DBZ et ça permet à San Goku de se déplacer où il veut instantément (ça m'aurait bien arrangé à ce moment). C'est pas tout à fait discret comme geste :

sangoku.jpg

surtout quand on l'associe d'un petit cri (oui j'ai fait ça) et que ... et que un groupe de jeunes est justement à 20 mètres devant moi, complètement morts de rire. VDM comme on dit.

Heureusement ma journée se termine par un joli petit mot glissé sous ma porte par l'accueil de la Villa 2 (là où j'habite). L'écriture, jolie, ronde et appliquée m'annonce gentiment (manque plus que des petits coeurs) :

"Good morning Ayman ; I remember you that there are 917,50 € which you should pay for before 8th April. Greetings !"

Gloups.